A son retour, Pierre trouva la maison vide, mais cela n’affecta pas son humeur. Pas plus qu’il ne déplora de dîner seul. Il fallait bien se faire une raison, ne plus se formaliser devant ces manifestations de désolation familiale que connaissaient la plupart des foyers où les enfants grandissent.
Rien ne pouvait redevenir comme avant! Une fois qu’on l’avait compris, une fois qu’on l’avait accepté, la suite avait des chances d’être moins lugubre.
Même la pénombre devenait acceptable – et quelque fois complice.
Lui qui, beaucoup plus jeune, s’était promis de ne jamais vivre en couple, était aujourd’hui marié avec la responsabilité de deux enfants, qu'il encadrait avec beaucoup d'amour.
Pierre se servit un verre d’eau et s’installa sur la table basse. Le poulet était succulent. Il se sentait revigoré par ce moment passé en compagnie de Cléa, transformé pour le restant de la soirée. Il appréciait ce moment à sa juste valeur.
Il avait été un écrivain, autrefois. Plutôt un bon écrivain. Il avait oublié avec le temps, les mots avaient fini par s’enfuir. Et voilà qu’ils resurgissaient, tout à coup, à l’occasion d’une promenade.
Clignant de ses yeux pétillants, Cléa était tout simplement jolie. Il se demandait si elle n’était pas une apparition ! Une vague de chaleur s’était élever en lui, et le paysage semblait flotter, ondulant dans les reflets du lac.
Elle était bien vivante et c’est de çà dont il avait besoin. Sans le savoir et à cet instant précis, il avait besoin d’être ravivé, d’être ailleurs, d’être une autre personne que celle qu’il incarnait devant sa femme et ses enfants.
Cela faisait un bon moment que Pierre ne croyait plus à l’amour, ou si peu. Ce n’était pas non plus le sexe qui l’attirait lorsqu’il voyait Cléa, il n’était d’ailleurs pas un homme à femme et était incapable de vivre dans le mensonge. Même si, chez lui, c’était plutôt la vérité qu’il trouvait effrayante.
En quinze ans, Pierre n’avait d’ailleurs jamais trompé sa femme. Il avait bien connu quelques petits extras de temps en temps, quand « le corps à ses raisons que la raison ne connait pas », mais jamais rien de prémédité.
Il se souvenait de cette suédoise descendant la rivière en canoë, les seins nus, pendant qu’il profitait seul d’un bain de soleil. La chaleur, la nudité et l’eau, les avaient tous les deux libérés. Quelques petits extras de temps en temps !
Mais Cléa était différente. Son front dur et doux, son regard pur et profond, ses yeux innocents et libres. Il avait besoin de rêve, et elle le faisait rêver. Il n’en revenait pas d’avoir croisé que deux ou trois fois cette fille et d’avoir discerner aussi rapidement son potentiel, son ouverture d’esprit, son intérêt pour la nature et la liberté.
Dans quel brouillard son cerveau allait-il encore baigner?
Certes, elle ne faisait souvent que passer et disparaissait aussitôt, mais combien d’autres avait eu le privilège de la croiser sans oublier de la regarder ?
Pierre ne cherchait pas à modifier sa vie, il se laissait simplement porter par la plus belle chose qu’ 'on nous ait donné : le plaisir. ..